Comme je me l’autorise de temps à autre, j’écris un billet en improvisant un peu, histoire d’aller sur des sujets moins calculés, plus personnels.
Samedi matin – au moment où j’écris ses lignes -, je me demandais quel sujet j’allais traiter et comme très souvent, c’est un phénomène déclencheur qui m’a fait écrire cet article, une remarque/question d’un membre d’un forum, qui m’a dit ça en commentant l’une de mes photos faite avec un moyen format:
Salut. Euh… J’ai voulu faire “achat en un clic” sur le lien de ton APN, mais ma banque m’a envoyé la police. Rage
Cela dit, l’appareil ne fait pas le photographe (pas uniquement, disons), et le prix peut bien approcher les 30 000 dollars, si on ne sait pas s’en servir… (et tu sais t’en servir, avec virtuosité !)
Blague à part, ça serait chouette que tu développes pour nous ton expérience avec ce moyen format de rêve. Que tu nous dises par exemple ce que dans cette photo tu n’aurais pu faire avec un autre appareil ? Et pourquoi pas, un lien vers un format moins compressé ?
Merci par avance !
Comme il s’agit presque d’une invitation et que ce n’est pas la première fois qu’on me pose la question, mais pourquoi un tel appareil, pourquoi vouloir dépenser autant pour acheter un tel engin, je me suis dit que c’était le bon moment d’y répondre en me mettant dans la peau de la bonne personne.
Il est vrai que pour beaucoup c’est difficile à comprendre ce que peut apporter ce genre d’appareil photo.
Un Canon 1Dx ou un Nikon D4s sont souvent très chers pour pas mal de photographes amateurs, voire même pros.
Pourtant, il reste quelque part accessible, la somme est grande, mais pas totalement irréaliste et on comprend que l’on va payer pour une construction parfaite, un AF impressionnant, une gestion de la lumière aux petits oignons …etc, des éléments qui même s’ils nous paraissent chers trouvent une justification.
Avec le moyen format, c’est plus délicat. Le prix est au-delà de cher et les spécifications ne semblent pas si évidentes pour justifier un tel tarif, souvent, même quand on explique les faits, les personnes on peine à comprendre, le moyen format numérique ressemble un peu à un monde à part.
Je vais donc essayer d’éclaircir tout ça en partant du postulat très simple, que ferais-je en tant qu’amateur …
Si je devais choisir ?
Pour comprendre mieux l’envers du décor, il faut savoir que parfois, même des pros ne comprennent pas l’intérêt du Moyen Format.
Un jour au bord du lac de Genève – ou Léman pour les puristes
Un photographe avec un sourire très sympathique s’approche de moi, au début il pense que mon appareil est une caméra, puis très vite il comprend son erreur et se rend compte – sans que je lui donne l’info -, qu’il s’agit en fait d’un boîtier moyen format.
La conversation commence simplement par un: Alors, vous êtes pro?
Nous avons alors parlé un moment de notre métier de photographe, car lui aussi était pro, pro du mariage pour être précis. Cette personne était très aimable, joviale et avait clairement une passion pour l’image.
Quand nous sommes venus à parler matériel, il m’a dit qu’il comprenait que dans ma branche de la photo je sois obligé d’avoir un tel matériel, pour l’image, mais qu’il ne comprenait clairement pas l’utilité d’un tel appareil autrement, qu’à par le nombre de pixels il n’apportait pas grand-chose.
Ce n’était pas une remarque méchante, ni de la jalousie, mais bien un simple constat de sa part sans aucune arrière-pensée.
Il m’a alors posé une question en guise d’affirmation: Si vous n’étiez pas pro, vous n’achèteriez pas un tel appareil ?!
Pour être franc, je ne m’étais jamais posé la question ainsi, j’ai la chance – l’ÉNORME chance -, d’avoir un moyen format et en plus d’en tester régulièrement et de toutes sortes, sans compter qu’en parallèle j’ai d’autres appareils plus classiques, comme mon Canon EOS 1Dx ou mon Nikon D4s et avec pas mal d’optiques, qui vont bien avec.
Autant dire que du côté matériel je ne me pose pas souvent de questions, je sais à quel point j’ai de la chance, je sais que sans mon métier se serait très très … très largement plus difficile.
Pour être franc, je ne m’étais jamais mis dans la peau d’un amateur, qui serait obligé de faire un choix, sans penser à la rentabilité du matériel, mais juste le côté plaisir, passion.
La question est alors pertinente, est-ce que dans cette perspective je choisirais le MF ou un système reflex numérique classique?
Il faut savoir que pour le prix d’un moyen format avec une seule optique, on peut s’acheter plusieurs objectifs et un très bon boîtier 24*36.
Je suis fan de photo animalière, la logique voudrait que je me tourne vers un reflex, un objectif standard, genre 24-70mm f/2,8 et un long télé.
Sauf qu’à bien y réfléchir, même si la photo animalière est ma passion numéro un, elle ne constitue pas le 100% de ma pratique de la photo “loisir”, en réalité, je dirais même qu’elle ne représente que 20% de ma production “plaisir”.
Les raisons sont multiples, déjà si j’aime la photo animalière et que c’est mon sujet préféré, j’adore également photographier les gens, le portrait est quelque chose que j’aime vraiment, j’aime aussi énormément la photo de paysage, la macro, la photo d’objet … etc.
Finalement, avec un moyen format il n’y aurait que la photo animalière qui deviendrait particulièrement difficile – bien que pas impossible -, pour le reste, ce serait à portée d’objectif.
Alors, est-ce que je craquerais?
Avant de répondre, je vais essayer de façon non exhaustive de vous expliquer…
les avantages du système moyen format :
Contrairement à ce que l’on peut penser, le premier avantage du moyen format n’est pas son nombre de pixels, qui serait un plus pour les impressions grand-format. Cela va bien entendu aider d’une certaine manière, mais ce n’est pas le plus important pour craquer pour ce système, car comme je l’ai expliqué dans mon article sur l’impression, contrairement à la croyance populaire, il ne faut pas forcément des dizaines de millions de pixels pour faire un tirage grand format.
Il faut donc chercher ailleurs les bénéfices du moyen format, qui vont nous faire craquer.
Le premier avantage du MF est difficilement quantifiable, il est même un peu subjectif – bien qu’induit par des éléments purement physiques -, c’est le rendu particulier qu’il offre.
En effet, il existe des dizaines de débats sur tout autant de forums quant à savoir si un rendu est vraiment spécifique à un appareil photo ou si c’est une simple impression basée sur une sorte d’effet placébo.
Comme c’est un élément du regard, difficile de trancher, pour ma part le rendu du moyen format existe bel et bien, il y a déjà un phénomène physique qui va influencer ce rendu, c’est la taille du capteur, qui va avoir une influence directe sur la profondeur de champ et, qui aura pour résultat d’offrir une PDC plus courte, petite précision toutefois, pour éviter une incompréhension, cette influence sur la PDC est dû au fait que le capteur étant plus grand, à focale identique l’angle de champs est plus large, de fait un 80mm, qui ouvre à f/2,8 va “cadrer” comme un 50mm en APS-C, tout en gardant la PDC d’un 80mm, soit une PDC plus courte à ouverture équivalente que ce que peut offrir un 50mm, pour mieux comprendre je vous invite à lire l’article suivant : la profondeur de champ
On peut dire que le rapport à angle de champ égal est d’environ 1,6 fois plus courte pour le moyen format.
Petit exemple avec un portrait de mon ami Yoyo réalisé à … f/14 !!!
Si vous cliquez sur la photo ci-dessus, vous aurez droit à un crop de 30% (hé oui, seulement), qui vous fera comprendre la qualité des images produite par le moyen format cette PDC ultra courte – car là nous somme tout de même à f/14 et l’oreille commence déjà à être floue -, et cette transition si douce entre la zone nette et la zone floue.
Comme on peut aussi le voir sur le crop de son œil, le piqué est juste hallucinant, quelque chose de très spécifique au moyen format, je précise tout de même que le crop est tiré de la photo non traitée, donc, sans accentuation.
Ce piqué vient du fait que les photosites qui composent le capteur son très grand et que celui-ci n’a pas de filtre passe-bas, ajoutez à ça une optique de très haute qualité, et vous avez tous les détails d’une photo qui croustille.
La grande taille du capteur du moyen format – 3,125 fois plus grand qu’un capteur 24*36 -, n’est pas seulement utile à la qualité de la PDC et au piqué, elle permet également d’obtenir une dynamique plus importante.
À gauche, une photo faite avec un moyen-format, à droite la même photo (ou presque) faite avec un reflex pro 24*36mm, on se rend alors compte que sans retouche spécifique le résultat avec le moyen format est bien meilleur, la dynamique est réellement plus grande.
Cette spécificité permet d’obtenir des photos, qui auraient été difficiles à produire avec un appareil plus traditionnel, moins apte à encaisser les grandes différences de luminosité.
Le moyen format a aussi pour avantage d’avoir une colorimétrie très juste, sans dominance de couleur notable.
Il ne faut pas penser que c’est une qualité utile que pour avoir une reproduction à l’exacte de ce que l’on voit, mais c’est bien un outil fort intéressant justement pour retravailler la colorimétrie en post production.
Si la colorimétrie de base est réellement juste, sans dominance, que les verts sont verts et que les bleus sont bleus, quand on va retravailler la couleur on aura moins de problèmes à faire un traitement très fin de l’image, même si on change drastiquement l’ambiance d’une photo:
Comme on peut le voir avec ce portrait de Ciuri, la transformation de la photo pour donner cette ambiance automnale a pu se faire de façon précise grâce à une colorimétrie de base de très bonne qualité.
On observe aussi sur cette image que la retouche a été bien plus loin que la simple correction de couleur, et bien c’est là que le nombre de pixels est cette fois un vrai avantage.
En effet, avec beaucoup de pixels, il est bien plus simple de faire des retouches de façon très précise.
Pour l’exemple, voici une photo d’une simple machine à café, elle a été prise avec un moyen format de 80 millions de pixels.
Pour bien comprendre, je vais vous montrer le crop 100% de cette image, une petite zone choisie avec soin: Cliquez ICI
Maintenant, je vais la réduire comme s’il s’agissait d’une image réalisée avec un appareil photo de 24 millions de pixels, puis vous montrer le crop 100% de la même zone: Cliquez ICI
Comme vous pouvez le constater, la différence est assez flagrante et il sera clairement plus facile et précis de travailler une retouche sur un fichier de 80 millions de pixels, plutôt que sur un de 24 millions.
Imaginez une retouche beauté, le travail sera particulièrement propre.
La liste des qualités citée ici n’est pas exhaustive, mais nous dirons que c’est les points principaux avec encore, le confort d’un tel matériel, la qualité des optiques juste incroyable, la qualité de construction, le viseur magnifique, la qualité optique, la qualité des fichiers dans l’ensemble, le service après-vente…etc.
Je ne parle même pas des fichiers imprimés, le but de toute photo finalement, tellement cela semble évident.
Après avoir vu tous ces bons côtés, la question qui se pose est, mais …
Quels sont les défauts du moyen format ?
Un appareil parfait, ça n’existe pas!
Bien entendu, les moyens formats ne font pas exception et ils ont des défauts et certains sont un peu difficile à vivre.
Le premier, celui qui va freiner le plus de monde, c’est bien entendu le prix de l’engin.
Pour entrer dans le monde du moyen format, il faut compter minimum 15’000€ et les prix peuvent dépasser les 100’000€ pour un équipement complet. Ce qui est un terrible frein il faut l’admettre.
Les autres points “noirs” sont plus terre à terre et ne concernent pas le point de vue financier, qui a bien entendu toute son importance.
Il y a le poids, les moyens formats font un peu moins de 3kg en général, ce qui au bout d’un moment finit par peser sur les bras, surtout si on est à main levée. Au moins, l’avantage c’est qu’on fait du sport.
Le prochain point noir est l’autofocus, certains m’argueront qu’avec un tel viseur l’AF n’est pas indispensable, je répondrais que ça reste un confort et que sur un moyen format on est clairement au moyen âge.
Je pense qu’un simple 1’200D de Canon fait le point largement plus rapidement et tout aussi précisément que ces appareils, qui en plus sont très loin d’être silencieux!
La rafale est presque inexistante, ce qui est compréhensible au vu de la taille des fichiers, mais il ne faut pas vraiment compter sur plus de 1,5 images par seconde.
Si on fait un peu exception des derniers nés avec capteur CMOS, la montée en ISO n’est de loin pas le fort de ces boîtiers, bien que comme précisé juste avant, la nouvelle génération de capteur CMOS me fait mentir et offre une belle qualité jusqu’à 6’400 ISO, comme vous le verrez dans le prochain article qui est justement le test du Hasselblad H5D-50C.
Pour le moment, les moyens formats CMOS sont limités à 50 millions de pixel et ne sont pas de réels plein format 6X45, mais je pense que des capteurs plein format et de plus de 60 millions de pixels ne devraient pas tarder.
Le dernier gros point faible pour moi est l’autonomie, ces boîtiers sont gourmands en batterie et une demi-journée de shooting demande facilement deux accus, c’est d’autant plus vrai quand l’alimentation doit supporter le dos et le boîtier, comme chez Hasselblad.
On s’en sort un poil (de rien du tout) mieux chez PhaseOne, car il y a un accu pour le dos et un pour le boîtier, ce qui facilite un peu la vie.
Voilà dans les grandes lignes les points noirs du moyen format, il y en a bien sûr d’autres, mais ils restent moins important.
Alors, la question posée en début d’article reste ouverte …
Est-ce que je passerais en moyen format si j’étais amateur ?
J’ai mûrement réfléchi cette question, et la réponse vous semblera peut-être étrange, mais c’est OUI!
Je sais que ce serait bien plus difficile, que je ne pourrais pas avoir autant de matériel à budget égal, mais, au vu de ce que cela apporte, il est clair que j’envisagerais le moyen format, même si cela devait être mon seul système.
Les avantages prennent clairement le pas sur les inconvénients et, quand on a goûté au MF, que ce soit pour du portrait, du paysage, de la macro, du shooting d’objets…etc, il est vraiment difficile de revenir en arrière.
Je conçois que cela peut sembler étrange, voire même un peu exagéré, mais je pense qu’il faut essayer une fois ce genre de matériel pour comprendre pourquoi tous ceux qui ont travaillé au moyen format numérique ne pourront certainement pas passer à autre chose.
Dans tous les cas, j’espère que ce petit article un peu particulier vous aura fait plaisir.
Si vous avez des questions auxquelles je n’aurais pas répondu dans ce billet, n’hésitez pas, je me ferais un plaisir que de vous apporter les réponses.
Pour finir, quel que soit votre appareil, je vous dis bon courage et bonnes photos!