C’est bien peu original de rappeler que le noir & blanc met l’accent sur la lumière et la composition.
Ce n’est pas faux mais, en quoi la couleur nuirait elle à la lumière et à la composition ?
Certes, les couleurs peuvent être disharmonieuses. Ou elles peuvent contrecarrer l’intention de l’auteur. C’est, de plus, délicat à gérer avec ces réglages de température de couleur et de saturation … Bref, une photographie déplaisante en couleur pourrait paraître agréable en noir & blanc… Admettons …
En fait, mon propos n’est pas d’opposer couleur à monochromie.
J’aime le noir & blanc !
Tout comme j’aime le dessin, le fusain et le lavis. Ce qui ne m’interdit pas d’apprécier le pastel. C’est simplement différent.
N’évoquons plus la photographie en couleur mais bien la couleur dans la photo monochrome. Car il s’agit bien de cela : créer une image composée de nuances de gris à partir d’une réalité colorée, que le capteur numérique mémorise d’ailleurs tel quel dans le fichier RAW.
Je n’ai pas de prétentions encyclopédiques et suis bien incapable de tenir un discours scientifique. Je prends plaisir à photographier et ma pratique est essentiellement basée sur l’empirisme, qui se transforme en compétence sous les strates du temps. Mais ce n’est qu’une compétence à usage personnel, qui me permet, à force de routine, de concrétiser mon désir de photo.
Je me propose donc tout simplement de vous faire partager ma façon de voir, exemples à l’appui.
A ce propos, distinguez vous bien sur cette mire tous les dégradés, y compris la très faible nuance entre le dernier, presque noir, et la bordure vraiment noire ?
“Si c’est non et que les écarts sont importants, vous aurez peut-être quelques difficultés à appréhender mes exemples. Je conseille de se servir de cette mire pour régler le moniteur en contraste et luminosité, ou tout simplement en jouant avec l’inclinaison de l’écran du portable, cela suffit parfois. Il faut bien avouer que les exigences pour la bureautique sont éloignées des réglages optimum permettant d’apprécier la photographie sur écran…
Pour en savoir plus, ce site sur la calibration déjà indiqué par Darth dans l’un de ses articles : http://www.photographe-de-mode.com/calibration-ecran.htm“
Et comme j’ai abandonné l’argentique depuis un bon moment, je n’en parlerai pas, sauf sous forme de références esthétiques.
NEGATIF ET TIRAGE NUMERIQUE
Selon le sujet et l’envie du moment, on peut privilégier un rendu dynamique et contrasté, appliqué à une vue nette et propre
… Ou bien à l’opposé, choisir des dégradés subtils de nuances de gris associés à la matière ajoutée sous forme de bruit gaussien :
Pour moi, ces deux rendus sont satisfaisants.
Mais pas celui-là ! :
C’est pourtant ce qui est passé initialement de la carte mémoire à l’ordinateur. Et, camouflé au s*ein de ce prétraitement exécuté par le software de l’appareil photo numérique dès la prise de vue, il y avait en fait ceci :
qui est le RAW comportant le moins de traitement possible que l’on puisse obtenir ; c’est le « négatif numérique » d’origine, que j’aime bien désigner comme étant le « brut de capteur ».
Enregistrer en mode RAW : c’est le conseil que je donne à quiconque envisage d’avoir un jour à traiter un cliché en noir & blanc. Quant à moi, je fais systématiquement du RAW + JPEG : le JPEG me sert immédiatement pour le catalogage ou pour imprimer sans délai un tirage de lecture, le RAW est mon point de départ pour le post-traitement.
En effet, le fichier RAW échantillonne les informations sur les 12 ou 14 bits natifs de l’appareil photo, alors que le JPEG ne comporte que 8 bits. Voyez à ce propos l’explication de Darth : Cliquez ICI
Pour illustrer l’importance de disposer d’un brut de capteur comportant une grande profondeur d’échantillonnage, voici, à partir d’un même point de départ figurant au milieu en bas, ce que j’obtiens en appliquant la même courbe, s’il s’agit du JPEG 8 bits (à droite) et ce que j’obtiens s’il s’agit du TIFF 16 bits issu du RAW :
En sus du manque de nuances, vous remarquerez des artéfacs sous forme de cercles concentriques au dessus de la fleur sur l’image issue du JPEG.
En résumé, le meilleur échantillonnage permet de récupérer dans le noir des informations qui ne semblaient a priori pas y être, tout en limitant la montée du bruit numérique. Il permet également, mais dans une moindre mesure, de récupérer de la matière dans les zones de haute lumière apparemment grillées.
Au final, on obtient un fichier prêt pour l’impression qui dispose, si on le souhaite, d’une dynamique plus large et, dans tous les cas, on pourra obtenir beaucoup plus facilement le rendu désiré pour chacune des zones constitutives de la photographie.
LA PRISE DE VUE EN MODE MONOCHROME
A gauche un point de départ, et à droite un résultat après post-traitement:
Vous constaterez que ce que je nomme point de départ est en noir & blanc et que cela semble en contradiction avec ce que je viens d’affirmer sur le RAW qui contient les données couleur.
En fait, c’est parce que depuis qu’existent les styles d’image CANON, j’applique, avec le développeur de RAW dédié – DPP – un prétraitement tel qu’il a été défini par paramétrage lors de la prise de vue.
J’en suis satisfait et je ne passe donc plus par l’étape du mélangeur de couches mais j’utilise le style d’image monochrome avec application de filtres virtuels coloré.
En effet, le rendu, paramétrable à souhait, est vraiment parfait si l’on ne néglige pas la balance des blancs.
Il présente également un avantage “psychologique” : visualiser à l’écran les vues en noir & blanc est bien plus confortable, c’est l’équivalent de charger son boîtier de TriX ou de Xpan, et l’on ne fait pas les mêmes photos en ce cas qu’avec du kodachrome.
Pour les filtres, je trouve que le résultat obtenu est bluffant, et rappelle vraiment l’argentique. Regardez ce que devient le carré rouge sur mon exemple avec le filtre rouge puis avec le vert (les 2 derniers exemples en bas à droite).
Et bien entendu, puisque l’on part d’un fichier RAW, c’est entièrement réversible sous DPP ; à un filtre rouge défini à la prise de vue peut être substitué un jaune ou pas de filtre du tout. Et Il y a la solution consistant à finalement revenir au style d’image neutre et à traiter intégralement son noir et blanc dans photoshop …
Après enregistrement du fichier RAW développé en TIFF 16 bits, il est temps de passer au post-traitement sous photoshop (ou autre n’est ce pas ?), dont on peut rarement se dispenser en noir & blanc. Mais au moins, le rendu des gris en fonction du sujet est validé depuis la prise de vue, via les réglages que j’aurai choisi pour le style d’image monochrome ; c’est un choix de photographe et non de tireur.
LE POST-TRAITEMENT
Nous entrons maintenant dans le vif du sujet. Je reste persuadé qu’en noir & blanc, et sauf exception, le travail n’est qu’au tiers accompli si l’on se contente du résultat issu de l’appareil photo.
Enfin, travail n’est peut-être pas le mot. C’est pour moi un véritable plaisir de poursuivre devant l’écran de l’ordinateur l’acte de création entamé à la prise de vue.
Je ne souhaite pas faire dériver cet article en tutoriel photoshop mais simplement vous faire part de ma conviction selon laquelle une photographie en noir & blanc trouve sa concrétisation au post-traitement sur l’ordinateur.
C’est ici que je veux revenir à l’analogie avec l’argentique et le travail sous l’agrandisseur. Un négatif s’interprète, un fichier RAW aussi, en voici quelques exemples :
Sur ce dernier exemple extrait de ma série en cours sur les livres, j’affiche l’original – à gauche – à la même taille que le résultat pour spécifier que, dans mon esprit, le post-traitement ne doit pas nécessairement être radical …
Si on ne veut pas entendre parler de post-traitement, on fait en quelque sorte de la diapositive numérique. C’est tout à fait honorable. Mais très réducteur en mode noir et blanc.
Une précision technique : si j’ai une idée du résultat recherché, il y a également une bonne part d’improvisation, et de renoncements. A ce propos, il convient de disposer d’une réserve suffisante de mémoire vive afin de pouvoir revenir en arrière et repartir dans une autre direction, sans pour autant remettre en question l’étape précédente du post-traitement.
Au fait, cela va sans dire mais … tout ceci doit être fait sur un écran correctement réglé, n’est ce pas ?
LE TIRAGE
Voilà, l’interprétation du RAW est terminée. Si l’on possède un écran calibré, une jolie dalle matte, on prend certainement plaisir à y regarder son image finalisée.
Mais enfin, je ne parviens pas à admettre qu’on puisse en rester là ! Pour moi, une photo doit être vue sur du papier. C’est peut-être une question de génération ? Je ne sais pas.
Sur des labos en ligne, je fais tirer en 10 x 15 cm chacune de mes photos retenues et les range dans des petites boîtes ad hoc, qui ressemblent à des boîtes à chaussures. C’est donc à nouveau de l’argentique, la boucle est bouclée. A condition d’être vigilant sur le sérieux du prestataire et de bien cocher, lors de la commande sur le site, les différentes options qui interdisent au laboratoire d’ajouter ses propres post-traitements automatisés à ceux que l’on a préparé, le résultat est très convainquant, bien meilleur et moins cher à mon avis que ce que l’on aura chez soi avec une imprimante photo de moyenne gamme et des encres sensibles au métamérisme.
A nouveau une précision technique : avant d’enregistrer le fichier 10 x 15 à 300 dpi pour transmission au labo, je veille, via une routine prédéfinie, à lui appliquer une désaturation et à le convertir en mode Srvb. Je m’épargne ainsi bien des déconvenues.
Pour les agrandissements, je les confie désormais à des professionnels pour une sortie sur papier « fine art » au moyen d’encres spécialement dédiées au noir et blanc. J’ai ainsi récemment découvert le papier BAMBOO d’Hahnemuhle … C’est bluffant !
Je fais confiance à mon post-traitement et, à la condition de bien s’entendre avec l’imprimeur sur les caractéristiques du fichier qu’on lui confie, le résultat est là :
Bonne photo noir & blanc !
Visiter le site de Jérôme Delfosse cliquez ICI