Darth's Blog

Comprendre la lumière

Lors du dernier “Mais Qu’est-ce”, votre jeu préféré, c’est notre cher Sartarius qui a gagné, et de par sa victoire il avait le droit de choisir un thème d’article. Son choix fut le suivant:

Sartarius:
La maîtrise de la lumière pour les nuls (comme moi:))

J’ai donc décidé d’écrire ce billet.

Comme vous pouvez le constater, le titre est un peu différent de sa demande.

Pourquoi ?

Avant de maîtriser la lumière, il faut la comprendre, la sentir, la voir. Comprendre la lumière, c’est la maîtriser.

Comme vous le savez tous maintenant, le mot photographie vient d’une étymologie précise:

Le mot « photographie » a été imaginé par John Herschel et provient de deux racines d’origine grecque :

  • le préfixe « photo- » (φωτoς, photos : lumière, clarté) — qui procède de la lumière, qui utilise la lumière ;
  • le suffixe « -graphie » (γραφειν, graphein : peindre, dessiner, écrire) — qui écrit, qui aboutit à une image.

Littéralement : « peindre avec la lumière ».

Wikipedia

Pour peindre avec la lumière, il faut effectivement la maîtriser, mais avant tout la comprendre, car comme en peinture, si on ne comprend pas la base, la maitrise n’est pas très utile.

Si on mélange du bleu et du jaune, on obtient du vert. Si je ne connais pas cette petite astuce, même si je maîtrise parfaitement le dessin, je vais être grandement limité pour faire un beau tableau en couleur.

De la même façon, même si je connais en pratique toutes les astuces photo, si je connais tous les modes de mesure qui vont permettre de “maîtriser” la lumière, si je ne la comprends pas, cela me sera simplement inutile.

En effet, à qualité de cadrage égale et pour exactement la même scène, une simple différence de lumière peut faire d’une photo banale une photo extraordinaire.

Alors, pour comprendre la lumière il faut commencer par…

Voir la lumière :

Qu’est-ce que cela signifie ?

Tout le monde connait les différents changements de lumière dus à l’heure, la lumière du matin, celle de l’après-midi et celle du soir.

On connait aussi les lumières de la météo, celle du mauvais temps et celle du beau temps.

Et pour finir la lumière de saison, printemps, été, automne et hiver.

En réalité, ce résumé des différentes lumières est terriblement réducteur, car il existe des milliers d’autres facteurs qui vont interagir sur la lumière, et tous ces facteurs peuvent se cumuler.

Pour autant, cette “petite” réduction va nous permettre de comprendre les choses simplement.

Imaginons que nous venons de mettre un appareil photo sur un trépied, avec une focale fixe pour avoir un cadrage identique.

Maintenant, je fais une photo un jour de grand beau temps (sans le moindre nuage), le matin 30 minutes exactement après le lever du soleil. Je fais cette photo une fois le 1er janvier, et l’autre fois le 1er octobre.

Les deux photos auront une lumière différente.

Si je recommence l’expérience, cette fois en faisant varier le temps par un coup de pouce du destin, exactement le même jour, même moment l’année suivante, une fois par beau temps et une fois par mauvais temps, la lumière sera différente.

Mais je vais encore plus loin, on refait la même photo, exactement à la même date, avec les conditions qui semblent exactement les mêmes (même temps, même moment, même paysage, même focale… etc) et la lumière sera encore différente.

Il y a tellement de choses qui influent sur le “rendu” de la lumière, que celle-ci n’est JAMAIS la même.

Un jour un ami photographe de mes parents était avec moi au bord du lac Léman, on admirait le coucher du soleil se positionner derrière le jet d’eau de Genève. Il me dit, regarde bien cette lumière, car tu ne la verras plus jamais !

Je fus étonné par son affirmation, et il m’expliqua que la lumière est unique à un instant, elle n’est ensuite plus jamais la même. Tu peux avoir des lumières qui sont proches, mais jamais identiques.

J’avais 13 ou 14 ans, et depuis, j’ai joué à un jeu et je n’ai plus jamais arrêté d’y jouer, j’ai joué à…

Regarder la lumière :

Est-ce que voir et regarder la lumière sont les mêmes actions ?

La réponse est non.

Je veux faire une photo, et je vois la lumière qu’il y a cet instant.

Je ne fais pas de photo, et je regarde la lumière qu’il y a tout le temps !

Quand je donne un cours photo à l’un de mes élèves, et qu’on arrive au chapitre de la lumière, je lui explique qu’un œil s’éduque, s’entraine à voir la lumière, de la même façon qu’on lui apprend à composer.

Il faut toujours regarder la lumière, que vous fassiez ou non des photos, il faut regarder la regarder, l’admirer, l’analyser, la comprendre.

Le 2 mai dernier, il faisait beau, quand soudain le ciel a tourné. Un beau ciel d’orage est passé au-dessus de Genève, et tout est devenu sombre.

J’étais dehors avec toute ma petite famille sur le chemin pour retourner à la maison de ma sœur. Tout le monde semblait inquiet, car on sentait dans l’air que l’orage n’allait pas tarder à craquer et nous arroser.

De mon côté, j’avais le sourire, car tout le monde voyait un ciel sombre et menaçant, moi je voyais une lumière extraordinaire ! Un ciel chargé d’électricité qui donne une luminosité si particulière, une lumière très belle, très subtile.

Le mauvais côté de l’histoire, c’est que j’avais bien mon appareil photo (le Fuji X100s que je teste en ce moment), mais comme un crétin que je suis parfois, j’avais oublié la carte mémoire…

En bref, pendant que tout le monde voyait le sombre, j’ai regardé la lumière, et j’ai vu de belles, de très belles choses.

Regarder la lumière n’est pas uniquement utile pour admirer ce qu’elle nous offre, mais pour comprendre…

Comment gérer la lumière :

Plus on regarde la lumière, plus on en connait toutes les subtilités, jusqu’à tant qu’on finisse par être capable de devenir un vrai posemètre humain !

Quand je donne un cours photo à mes élèves, il y a une chose que j’adore faire, c’est de donner les réglages de l’appareil avant même qu’ils ne portent l’œil au viseur.

Je dis par exemple :

Tient, vu la lumière qu’on a là, tu auras pour tes 100 ISO à f/2,8 un temps de pose de 1/125s …

Ma marge d’erreur est de plus ou moins un demi-stop (voire un complet) selon la marque du boîtier. (je donnerai plus de détails sur ce qu’est un stop un peu plus bas dans l’article).

Reconnaitre la lumière, la regarder et éduquer son œil devient un point capital, non pas pour savoir la mesure à la place de votre appareil, mais pour décider quel type de mesure sera le meilleur pour votre photo à un moment précis.

Connaitre la lumière, c’est pouvoir déterminer si l’ambiance lumineuse est homogène ou non, où sont les points de lumière les plus importants, quelle est la lumière qui baigne la scène et que je dois mettre le plus en avant… etc.

Comme vous l’aurez compris, gérer la lumière est avant tout la comprendre, pour pouvoir faire les choix qui s’imposent.

Que ce soit la lumière que l’on “subit”, celle qui naturellement baigne la scène (lumière naturelle ou non), ou celle que l’on fabrique, par exemple à l’aide de flashes.

Le meilleur moyen de reproduire avec un flash un éclairage “naturel” est de comprendre comment ledit éclairage naturel fonctionne.

Gérer la lumière, c’est l’observer, la regarder, l’étudier, la comprendre, voir sa réaction quand elle rebondit sur tel ou tel support, quand elle est filtrée par une chose ou une autre… etc.

Ensuite, et seulement ensuite, on peut travailler la lumière pour en ressortir le meilleur.

Travailler (mesurer) la lumière :

Pour travailler la lumière, en obtenir le meilleur et avoir un rendu particulier, il faut utiliser les outils qui sont à notre disposition.

En studio, le meilleur et le plus efficace des outils est et reste le flashmètre.

Le flashmètre a la particularité de calculer la lumière directe qui vient de la source jusqu’au sujet, et non pas la lumière réfléchie, celle qui vient de la source, puis rebondit sur le sujet avant d’être mesurée, comme le font nos appareils photo.

Pour le flashmètre, lors d’un prochain article sur les flashes de studio, je vous ferais une explication plus en détail.

Pour ce qui est de la mesure de nos appareils photo, la mesure réfléchie, celle mesurée après rebond sur le sujet, j’avais écrit un article il y a trois ans de ça, qui explique comment tout ça fonctionne : Les différentes mesures

Ce que je n’ai pas expliqué dans l’article en question (ou rapidement expliqué) c’est que, quelle que soit la qualité de votre mesure, nous sommes toujours en présence d’une limitation, celle de la capacité de votre surface sensible à reproduire toute la lumière d’une scène, des plus hautes aux plus basses.

C’est ce qu’on appelle la dynamique.

On entend souvent cette phrase, Nikanon a des capteurs avec une meilleure dynamique que Canikon.

La dynamique d’un capteur se mesure en IL c’est justement sa capacité à encaisser le plus d’écart entre les lumières les plus hautes et les lumières les plus basses qui détermine sa dynamique.

Plus le chiffre est grand, plus la dynamique est étendue.

Les reflex standard (APS-C et FF) ont en règle générale une dynamique autour de 11 IL, un peu plus un peu moins selon le modèle et selon la plage ISO utilisée.

C’est ainsi que Canon en ISO de base à un peu moins de dynamique que Nikon (et leur capteur Sony), tendance qui s’inverse une fois que l’on monte en ISO. Le gain de dynamique au départ se perd très rapidement et finit par s’inverser dans les valeurs ISO les plus hautes ou Canon reprend le dessus.

Les appareils moyen-formats, comme les PhaseOne affichent des dynamiques plus étendues, jusqu’à 13 IL pour le dernier IQ260.

Notre œil voit environ 8 ou 9 IL de dynamique, sauf que notre cerveau, organe ô combien astucieux, fait du HDR en permanence : il cumule les images en haute et basse lumière pour nous donner un résultat à la dynamique très étendue.

C’est ainsi que la vision humaine, avec la petite astuce de notre cerveau qui fait son “HDR-Brainisé-maison”, nous offre une vision d’un peu plus de 20IL de dynamique… ce qui est très loin des 11 IL d’un reflex et même des 13 IL d’un moyen format!

Surtout quand on sait qu’entre chaque “stop” (IL+1) on double les valeurs…

Vous n’avez pas compris ?

Je vais vous expliquer de manière plus claire. Imaginez que vous avez un appareil photo avec les réglages suivants :

Maintenant, vous décidez de changer un des paramètres sans que ce changement n’influe sur l’exposition de l’image. Par exemple, vous voulez plus de vitesse d’obturation pour figer une scène. Vous augmentez la vitesse d’un stop ou 1IL. On sait que monter d’un stop est multiplier la valeur de base par deux (ou diviser si on veut au contraire descendre), mon 1/400s de seconde va donc passer à 1/800s.

Pour compenser ce manque de lumière (car si la vitesse d’obturation est plus rapide, il y a moins de lumière qui va venir toucher la surface sensible) je vais devoir monter d’autant d’IL la valeur ISO, dans notre cas 1 stop. On va donc passer de 200 ISO à 400 ISO.

Pour l’ouverture, c’est un tout petit peu plus compliqué, car les valeurs “entières” d’ouverture de diaphragme sont prédéfinies, il faut donc les connaître par cœur. Ci-dessous, la liste des valeurs entières pour l’ouverture :

De fait, si c’est avec l’ouverture qu’on voulait compenser le manque de lumière de notre exemple, nous aurions dû passer de f/5,6 à f/4.

Ce que l’on note alors, ce que l’on déduit en toute logique, c’est qu’on ne pourra jamais (sauf artifice comme le HDR) reproduire la totalité de la lumière que l’on voit sur une scène donnée.

La physique et la dynamique de nos capteurs nous empêchent de réussir une telle prouesse.

Il faut donc accepter…

Le compromis :

Le compromis c’est d’être conscient que lorsqu’on est devant un magnifique coucher de soleil, on ne pourra pas avoir et la superbe lumière de ce coucher de soleil et notre joli modèle bien exposé (sans artifices, comme le flash fill-in).

Ici, on devra faire un choix, soit on expose bien le modèle et l’arrière-plan est cramé, soit on expose bien le coucher de soleil et notre modèle n’est plus qu’une silhouette noire.

Mais il ne faut pas croire que le compromis soit une mauvaise chose en soi, et c’est souvent ce qui donne du caractère à l’image.

Si je prends l’exemple de mon bateau qui illustre ce chapitre, ici, il n’y avait pas moyen d’avoir une image parfaitement exposée. Des rayons de soleil très intenses traversaient des trouées de nuages donnant une lumière très belle, mais une dynamique impossible à retranscrire sur le support limité qu’est mon capteur.

Et c’est justement là que ce fameux compromis est une force !

J’avais trois choix qui s’offraient à moi :

  1. Exposer la scène pour les valeurs moyennes (ce qu’aurait fait la mesure matricielle). On aurait eu des zones bouchées (trop noires) et d’autres cramées (trop blanches) le reste aurait été correctement exposé, mais ici, il y avait peu de valeurs moyennes.
  2. Exposer pour les basses lumières (en faisant une mesure spot dans la zone la plus sombre). On aurait eu des détails dans toutes les parties sombres, et les parties claires auraient été cramées.
  3. Exposer pour les hautes lumières (en faisant une mesure spot sur les parties claires de l’image). C’est ce que j’ai fait, et le rendu très particulier qui joue sur les différentes lumières offre un bon compromis.

Ici, on voit clairement que le compromis donne une ambiance “agréable”, donne un cachet spécifique à cette image.

Le compromis est ce qui offre la possibilité de jouer sur la lumière, de s’amuser avec elle, de la modeler pour obtenir le rendu que l’on désire vraiment.

Même avec des lumières qui peuvent nous sembler “plates” on peut toujours trouver cette petite nuance qui changera tout.

Conclusion:

Pour terminer cet article, je dirais que la lumière doit être la meilleure amie du photographe. Pour la comprendre, la gérer, la maitriser, il faut sans cesse la regarder !

Plus vous verrez les subtilités de la lumière, plus vous la comprendrez, plus elle vous sera familière, et plus vous la maitriserez.

La lumière n’est pas le simple fait de mesures que vous donneront vos différents appareils de façon plus ou moins juste, mais c’est une histoire d’amour qui doit naître entre le photographe et SA lumière.

Que je fasse ou non de la photo, je passe mon temps à regarder la lumière, à composer dans ma tête, c’est devenu un réflexe aussi présent que celui de respirer. Presque 100% de mon temps conscient, j’observe, je regarde, j’imagine le résultat.

Le gros avantage, c’est que je vois des choses que les autres ne voient pas, comme la belle lumière d’un instant avant l’orage, et en prime j’affute mon regard.

Ce sont des détails pour la plupart des gens, pour moi ce sont de très sympathiques moments, qui en plus de me flatter l’œil me permettent d’avoir les bonnes réactions quand je dois prendre des photos.

Ne vous lassez jamais de regarder la lumière !

Bon courage et bonnes photos !