Darth's Blog

Interview de Denis Brodeur

Quand on fait de la photo “Nature”, on est toujours très heureux de prendre certains oiseaux en photo.

C’est souvent plusieurs difficultés à surmonter et la plus grande reste la timidité de ces oiseaux qui au moindre mouvement, au moindre bruit s’envolent.

C’est donc avec beaucoup d’admiration que j’ai découvert les photos de Denis Brodeur qui en plus de photographier ces très jolies petites bêtes, le fait alors qu’elle lui mange dans la main.

Si comme moi ce genre d’image vous laisse sans voix et les yeux plein d’étoiles, si comme moi vous voulez tous savoir sur sa technique, lisez son interview qui va certainement vous passionner !

Suivez le guide…

Darth: en pre­mier lieu, merci d’avoir accepté cette interview.

Denis B. : Tout le plaisir est pour moi et je te remercie d’avoir choisi de parler d’une de mes passions.

Darth: La ques­tion clas­sique, com­ment es-tu venu à la photo?

Denis B. : J’ai été initié par mon frère aîné, lui ayant racheté son premier boîtier reflex : un Practica L ainsi qu’une cellule à main Sixtar de Gossen. Il n’y avait aucun automatisme. J’ai vite maîtrisé la technique. Lumière réfléchie et lumière incidente n’ont plus de secret pour moi. À cette époque, on faisait du N&B. On s’est équipé d’un petit labo pour les développements et tirages papier. Lorsque le prix de l’argent a beaucoup augmenté et que cela devenait plus économique de faire de la photo couleurs, je suis passé à la Kodachrome 64. Pendant mes études universitaires en Géographie, la photographie m’a permis d’illustrer mes sujets d’étude ainsi que des présentations scientifiques lors de congrès. Dans les années ’80, chacun arrivait à sa conférence avec son carrousel de diapos. Disons qu’à cette époque, j’étais plus presse bouton. Les règles de la composition et le côté esthétique me faisaient cruellement défaut. J’ai délaissé la photo pendant quelques années et m’y suis remis très sérieusement à partir de 1998 lorsque j’ai commencé à acheter les revues Chasseurs d’images, Réponses Photo et Popular Photography.

Darth: Qu’est-ce qui t’a poussé vers la photo d’oiseaux, et en particulier mangeant dans tes mains ?

Denis B. : C’est tout à fait par hasard. J’étais allé photographier des cerfs de Virginie, en enclos, dans un parc près de chez moi, en hiver. Sur place, il y avait des gens qui nourrissaient les oiseaux en leur offrant des graines dans leur main. J’ai tendu la main, sans graine et une Mésange à tête noire est venue s’y poser. Ce fut le moment déclencheur et j’ai vite constaté que les oiseaux de ce parc s’étaient habitués à la présence des humains. J’y suis retourné de nombreuses fois avec des graines et c’est devenu une passion. Notons qu’au début, je photographiais en argentique. Le bruit du déclenchement et l’avance motorisée du film faisait fuir les oiseaux. Ils ont fini par s’y habituer en commençant un entraînement mutuel à partir du mois d’octobre. Ce faisant, j’ai aussi appris identifier les quelques espèces présentes sur les lieux et à parfaire ma technique suite à de nombreux essais.

Darth: Je sais que tu fais d’autres photos que celles d’oiseaux, mais est-ce ton sujet de prédilection ?

Denis B. : Pas nécessairement. J’y vais surtout en fonction des saisons et des sujets disponibles. Pendant plusieurs années : c’était la macro (fleurs et insectes) en été, paysages en automne (les belles couleurs de l’Été des indiens au Québec) et les oiseaux sur la main de fin octobre à fin mars. Depuis mon passage au numérique (fin 2008), je m’intéresse également aux filés de cascades, en toutes saisons.

Darth: Tu n’as pas de site internet, est-ce que ce ne serait pas une bonne idée d’exposer tes photos sur un blog ou une galerie ?

Denis B. : J’aimerais bien mais pour l’instant, les compétences et surtout le temps à y consacrer me manquent. Pour ce qui est des photos d’oiseaux sur la main, je dois aussi dire qu’il me manque de la diversité à illustrer. Je n’ai que trois espèces : Mésange à tête noire (Poecile atricapillus) , Sittelle à poitrine rousse (Sitta canadensis) , et Sittelle à poitrine blanche (Sitta carolinensis). Au fil des ans, cela devient vite redondant.

Darth: N’as-tu jamais pensé à écrire un livre sur le sujet, ou bien monter une expo ?

Denis B. : Pour le livre, je crois que cela a déjà été fait. Je ne retrouve plus la référence mais je l’avais feuilleté en librairie et n’y ayant rien trouvé de plus que ce que j’avais expérimenté par moi-même, je ne l’ai pas acheté. Pour l’expo, je crois que cela va finir par se faire. Par ailleurs, j’ai de nombreuses photos qui défilent quotidiennement dans des cadres numériques d’une boutique photo et les réactions des clients sont très positives.

Darth: Comment t’es venue l’idée de ces photos ?

Denis B. : Disons que jusqu’à date, mon matériel photographique a dicté le type de photos d’oiseaux que je fais. Comme je ne possède pas de long télé, je me suis rabattu sur les focales fixes que je possède. En argentique, j’utilisais le SP Tamron 90 macro f/2.8 et en numérique le 50mm suffit amplement sur capteur APS-C. Maintenant, on peut obtenir deux types de photos. D’une part, l’oiseau figé sur la main en position statique et d’autre part, ce que je trouve plus dynamique, l’oiseau avec les ailes déployées. Dans ce cas, je suis satisfait lorsque j’arrive à avoir l’œil et la tête nets. Par contre, les oiseaux qui acceptent ma main le font parce qu’il y a des graines à prendre ; ce qui implique que l’offrande est souvent visible sur les clichés. Dans mon cas, s’il n’y a pas de graines dans ma main, les oiseaux n’y viendront pas. J’essaie aussi de photographier les oiseaux dans leur environnement mais c’est dans la limite de ce que me permet soit le 55-200 mm ou encore le 80-320 mm (peu lumineux). Ma plus grande facilité demeure donc la photographie des oiseaux sur la main lorsque ceux-ci collaborent. A partir de là, on peut expérimenter avec ou sans flash, synchro flash haute vitesse ou vitesse lente, sur le premier ou le second rideau, etc.

Darth: La grande question, mais comment fais-tu pour les attirer ainsi ?

Denis B. : J’ai la chance de photographier des oiseaux qui sont habitués aux humains. En milieu naturel sauvage, cela peut être très différent. D’abord, je suis toujours à découvert, jamais en affût. Je laisse les oiseaux venir à moi. Les mésanges et sittelles sont opportunistes et elles ont appris, dans ce parc, que les humains peuvent être source de nourriture facilement disponible (surtout en hiver). Dès que je quitte la voiture pour entrer en forêt, des oiseaux commencent à me suivre. Je tends la main avec des graines de tournesol décortiquées et le processus commence. Au début, j’évite les photos afin de préserver la confiance des oiseaux. Les mésanges et les sittelles vont effectuer plusieurs allers-retours entre ma main et les endroits où elles cachent les graines pour consommation ultérieure. Lorsqu’elles sont plusieurs (entre 10 et 12), selon les secteurs de la forêt, il se fait que j’ai continuellement un oiseau sur la main, à tour de rôle. Certains (des jeunes de l’année peu habitués ou trop timides) refusent la main et préfèrent recueillir les graines tombées au sol. Il m’arrive aussi d’effectuer une sortie photos d’oiseaux sur la main et ce sans rencontrer un seul oiseau. Tout ça pour dire que ce n’est jamais gagné d’avance et que chaque rencontre avec les oiseaux est une nouvelle aventure même après plusieurs années.

Darth: D’un point de vue technique, est-ce que tu utilises un matériel spécifique ?

Denis B. : Actuellement, j’utilise un boîtier numérique Pentax K 10D sur lequel est monté un smc-Pentax FA 50 mm f/1.4. Un objectif AF est primordial car je dois tenir le boîtier d’une seule main, l’autre servant de mangeoire/perchoir. La plupart du temps les photos sont faites avec l’apport du flash intégré muni d’un diffuseur de flash Soft Screen de LumiQuest. Ce dernier sert à adoucir les ombres portées sur la main par les oiseaux et à obtenir l’étincelle dans l’œil de l’oiseau (catch light), dans la mesure du possible. Par ailleurs, l’avantage de la «main mangeoire/perchoir» c’est qu’elle est toujours disponible et orientable à volonté selon la lumière ambiante. Par contre, je suis limité à une vitesse synchro flash maxi de 1/180 sec avec le flash intégré. Je possède aussi un flash cobra Pentax AF360FGZ que je n’utilise pas pour les photos d’oiseaux sur la main. Trop puissant et sa distance minimale d’efficacité est de 70 cm. En deçà, la mesure d’exposition risque d’être aléatoire donc j’évite car je suis toujours autour de 50 cm avec le smc-Pentax 50 mm f/1.4. Dernier point : si votre appareil est en P-TTL, I-TTL ou E-TTL, le pré-éclair du flash suffit à faire décoller l’oiseau. De même que le «bip» de confirmation de l’AF (à désactiver). Moins il y a de bruit auxquels les oiseaux ne sont pas familiers, mieux c’est. N’hésitez pas à leur parler d’une voix douce et accueillante, cela attire leur attention et ils demeurent un petit peu plus longtemps sur votre main.

Darth: Quelles seraient les conseils que tu pourrais donner à une personne désirant ce lancer dans ce type de photo.

Denis B. : Tout d’abord, il faut être patient et persévérant. Si les oiseaux fréquentent les mangeoires aménagées dans votre jardin, c’est déjà un début. Il faudra ensuite les habituer à votre présence donc sans affût. Par grand froid, lorsque les oiseaux viennent visiter vos mangeoires assidûment, il faudra restreindre l’accès à ces dernières pour ne leur laisser le choix que de votre main avec des graines. Surtout pas de photos au début. Il faut établir un lien de confiance entre les oiseaux et vous. Si les oiseaux finissent par accepter vos offrandes sur la main, un grand pas est franchi. Ne faites jamais de gestes brusques car cela les effraye. Et surtout attendre que les oiseaux reviennent à plusieurs reprises avant de tenter la moindre photo. Juste le fait d’avoir un oiseau sur la main est indescriptible. Ils sont si légers… Si c’est le cas, comptez-vous privilégiés. Les photos ce sera pour plus tard lorsqu’ils se seront habitués à vous. Par la suite, ce sera l’entraînement mutuel : habituer les oiseaux au son du déclenchement, au pré-éclair du flash mais ils finiront par revenir s’ils ont faim et que vous les alimentiez de votre main et ayez coupé l’accès aux mangeoires. Car ne nous leurrons pas : si les oiseaux ont le choix entre la mangeoire ou des graines au sol, ils vont privilégier ces dernières au détriment de votre main.

Darth: Quelles sont les précautions à prendre pour ne pas blesser ces oiseaux ?

Denis B. : Il n’y a pas de précautions particulières à prendre si ce n’est de ne jamais tenter de refermer la main sur l’oiseau qui accepte vos offrandes en toute confiance. Ce faisant, le lien de confiance établi sera rompu et l’oiseau ne reviendra jamais plus sur votre main.

Darth: Est-ce qu’il faut des connaissances spécifiques ?

Denis B. : Bien maîtriser son appareil photo et prévoir son comportement dans telle ou telle situation. Par la suite, c’est plus plaisant de connaître l’espèce d’oiseau qui fréquente votre main…Pour cela, il existe des guides ornithologiques sur le sujet. Enfin, il faut être conscient que ce ne sont pas toutes les espèces qui accepteront vos offrandes sur la main. Plus les oiseaux seront habitués à vous, meilleurs seront les chances de les photographier.

Darth: Y a t’il une période plus approprié qu’une autres ?

Denis B. : Personnellement, je commence l’entraînement autour de la fin du mois d’octobre. Cela permet aux oiseaux de «faire connaissance» avec le pourvoyeur de graines. De plus, cela permet de s’entraîner aux déclenchements intempestifs et de se faire une «musculation» appropriée car ne l’oublions pas, il s’agit, ici, de travailler d’une seule main. À l’hiver, lorsque la nourriture se fait rare, les oiseaux seront plus enclins à s’approcher s’ils vous «connaissent» et reconnaissent déjà comme pourvoyeur de graines. Les sorties répétés contribuent à cette reconnaissance mutuelle. Au printemps et à l’été, je laisse les oiseaux se débrouiller avec la nourriture disponible selon leur alimentation spécifique (insectes et graines).

Darth: Existe-t-il des ouvrages qui parlent de ça, ou est-ce une technique que tu as élaborée tout seul ?

Denis B. : Il y a plusieurs ouvrages qui traitent du sujet «comment attirer les oiseaux du jardin» mais peu sur la technique de la photographie des oiseaux sur la main. Il n’y a pas de recette toute faite. À partir du moment où les oiseaux acceptent vos offrandes sur la main, il faudra expérimenter selon le matériel à votre disposition. Au fil des ans et des expériences acquises vous élaborerez votre propre technique en fonction des espèces disponibles. Tout dépendra du résultat souhaité : oiseaux en position statique ou oiseaux en position dynamique. Avec ou sans flou du sujet. Et ne vous surprenez pas : il y aura de nombreux déchets dans votre production ne serait-ce que des photos de votre main sans oiseau car ils sont tellement rapides. Il faudra donc déterminer le rendu souhaité en fonction de ce vous recherchez comme photo finale. Et ne dit-on pas que tous les goûts sont dans la nature ? Voir aussi quelques références à la fin de l’interview.

Darth: Est-ce que tes images ont droit à un post traitement spécifique ?

Denis B. : Je photographie toujours en format RAW (PEF). Je «développe» mes PEF avec le logiciel fournit par Pentax (Pentax Photo Laboritory). Puis sous Photoshop CS3, j’ajuste les niveaux, courbes, netteté optimisée et j’enregistre pour le WEB. De là, un petit coup de Neat Image pour débruiter [en fonction du profil Ad Hoc selon la sensibilité ISO choisie] (version demo donc par de méta données) et redimensionnent pour le WEB.

Darth : Est-ce que tu conti­nues à explo­rer de nou­velles idées, ou préfères-tu res­ter maître de ton domaine ?

Denis B. : J’essaie surtout d’attirer de nouvelles espèces sur ma main afin de les photographier. J’ai aussi tenté la vidéo à l’aide d’un petit compact numérique et j’y ai trouvé plein de possibilités mais je demeure avant tout un adepte de l’image fixe. Il y a plein de gens, ici au Québec, qui photographient les oiseaux sur la main (la leur ou celle d’autrui) et je ne pense pas revendiquer le titre de maître dans ce domaine. J’ai diffusé des images sur quelques forums photo et cela surprend souvent les lecteurs qui se demandent comment je m’y prends. Il faut juste tenter l’expérience et arriver à exploiter au mieux son matériel photo. Sans oublier que les oiseaux doivent coopérer un tant soi peu

Darth : Quels sont les pho­to­graphes que tu admires ?

Denis B. : Les photographes (amateurs ou pros) dont les images viennent remuer de vives émotions, somme toute des images qui me parlent et cela, peu importe le sujet traité.

Chez les pros, j’admire que ce que produit Art Wolf.

Chez les amateurs experts, sans vouloir vexer qui que ce soit, j’avoue que Polygraphe (Philippe LAGABBE) m’inspire par sa maîtrise de la gestion de la lumière (paysages et champignons) et ses compositions / cadrages ciselés au millimètre.

Darth : Qu’elle est ta photo pré­fé­rée, de ta pro­duc­tion et d’un autre photographe ?

Denis B. : Pour les miennes et dans le sujet, c’est la première photo que j’ai réussie d’une mésange à tête noire, sur ma main, les ailes déployées et le reste du corps net. Une deuxième serait celle d’une sittelle à poitrine blanche obtenue après 5 années de persévérance et d’obstination à l’attirer sur ma main. Il y a la photo mais il ne faut pas oublier le contexte qui l’y a mené.

Darth : Que peut-on te sou­hai­ter pour ton ave­nir photographique ?

Denis B. : Pour moi, la photographie demeure un passe-temps passionnant. Un moyen de prendre l’air et faire de l’exercice et de s’en mettre plein les yeux. Souhaitez-moi de conserver cette passion malgré toutes les heures que cela implique à passer devant l’ordinateur…

Darth : Un der­nier mot ?

Denis B. :  Pour ceux et celles qui voudront se lancer dans la photo d’oiseaux sur la main, les pré requis sont la patience et la persévérance et restez à découvert afin que les oiseaux vous voient et vous reconnaissent.

Darth : Encore une fois merci de m’avoir accordé un peu de temps pour cette interview.

Denis B. : Tout le plaisir a été pour moi dans ce partage des plus courtois.

J’espère que vous avez tous pris autant de plaisir que moi avec cette interview.

Personnellement ça m’a beaucoup donné envie d’essayer l’aventure, mais je sens que le jour où je publierais une telle photo sur ce blog n’est pas tout près d’arriver !

Bon courage et bonne photo !